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La domination des corps racisés par l’hypersexualisation

Le corps des femmes était et continue d’être soumis à un grand nombre d’injonctions, et cela, dans le but de le contrôler. En grande partie par les hommes, comme le prouvent six siècles de colonisation qui marquent le début d’une domination sexuelle sur les corps féminins racisés qui subsiste, encore et toujours. Et cela, au travers de la culture, de l’éducation et plus largement, de la société.

« Moi monsieur j’ai fait la colo, 

Dakar, Conakry, Bamako, 

Moi monsieur, j’ai eu la belle vie, 

Au temps béni des colonies.

[ … ]

Autrefois à Colomb-Béchar. 

J’avais plein de serviteurs noirs 

et quatre filles dans mon lit, 

Au temps béni des colonies. »

 

Peu de personnes pourraient reconnaître ces paroles issues de la chanson Au temps des colonies de Michel Sardou. Lui qui fait la promotion de l’époque coloniale pour les avantages qu’elle engendrait comme une sexualité débridée, hypocrite. Car, après un refus de la part des radios de la diffuser et d’une vague de critiques, elle fut retirée par son auteur et cela sûrement pas par conscience. A l’inverse, l’écrivain Gérard de Villiers se fiche pas mal de dresser un portrait hypersexualisé d’une femme noire « torride » dans ses romans « Bicuzi Kihubo avait la cervelle d'une antilope, mais une allure de star. Ses grands yeux marron illuminaient un visage doux, encadré par les tresses traditionnelles, ses seins moulés par un tee-shirt orange pointaient comme de lourds obus ; quand à sa chute de reins, elle aurait transformé le plus saint des prélats en sodomite polymorphe… Ses hanches étroites et ses longues jambes achevaient de faire de Bicuzi une bombe sexuelle à pattes ». 

 

La France n’apprécie pas que l’on lui parle de son implication dans la colonisation comme le rappel l’homme politique Aimé Césaire qui accusait les « maîtres » de ne pas résoudre le « problème colonial ». Il a fallu attendre soixante-dix ans pour qu’un président français, en l'occurrence Emmanuel Macron, reconnaisse la colonisation comme étant un « crime contre l’humanité », alors que la culture s’est chargée de propager la pensée coloniale.

 

La femme blanche et l’Autre

 

« Dans le cas de la colonisation, les hommes européens rencontraient des femmes jugées facilement accessibles, cela a perduré durant toute cette époque coloniale. Les femmes sont toujours un objet extrêmement important dans la violence sociétale » nous explique, lors d’un entretien, Gilles Boëtsch, anthropologue et co auteur avec Pascal Blanchard, Christelle Taraud, Nicolas Bancel et Dominique Haas du livre Sexe, race et colonies paru en 2018. « Une semaine après la conquête d’Alger, la France réglemente la prostitution pour mettre en place un marché sexuel » précise l’historienne Christelle Taraud dans un article de Libération publié suite à la sortie du livre. 

 

Les colons propagent l’image d’un paradis sexuel où il n’y a pas d’interdit ni de moral et où on y trouve des femmes noires « faciles, lascives, lubriques, perverses et donc foncièrement insatiables », l’opposé de ce qu’ils ont laissé au pays, une « épouse blanche idéale, pudique et chaste » raconte Pascal Blanchard dans une interview accordée à Libération. « Il y a une culture de l’impunité face aux violences sexuelles durant la colonisation. Les territoires coloniaux sont des territoires d’opportunisme sexuel pour les colonisateurs, ils pouvaient y faire ce que l’Église et la famille les privaient de faire sur le territoire européen, parfois avec de très jeunes filles » déclare Amandine Lauro, une historienne belge spécialisée dans le genre et la colonisation dans un article du média RTBF.  

 

Hypersexualisation et fétichisation

 

C’est avant tout, si ce n’est essentiellement, la colonisation qui a façonné cette image réductrice de la femme noire. Pour Gilles Boëtsch, « la grande rupture en France qu’il y a eue autour du « corps exotique » c’est Joséphine Baker car avant elle, les noir.es étaient vu comme des sauvages ou des esclaves. Elle a fait changer le regard de ces corps sexuels ». Sauf qu’aujourd’hui encore, les stéréotypes sexuels continuent d’alimenter l’image de ces corps racisés. Pour le constater, il n’y a qu’à se rendre sur un site pornographique ou à regarder les commentaires présents sur les réseaux sociaux. D’ailleurs, les femmes noires ont 84% de risque en plus d’être mentionnées dans un message abusif ou polémique qu’une femme blanche selon Amnesty International. « Bête de sexe », « membres démesurés », « appétit sexuel animal », l’homme noir était également vu comme une distraction, inférieur à l’homme blanc au temps des colonies. La femme, en fonction de sa couleur de peau, de sa religion ou de son origine va être victime de fétichisation : une femme arabe sera vue comme soumise, une femme noire comme un animal. 

 

Peut-on dire que le porno est un des moyens de perpétuer cette domination sexuelle sur les corps racisés par les utilisateurs ? Parmi les témoignages lus à ce sujet, une jeune femme originaire des Dom-Tom racontait la façon dont un ancien copain la sexualisait pour ses origines « Ma sirène des mers chaudes, ma belle métisse… Tu dois être sexy nue sur ta plage avec une fleur colorée piquée dans ta chevelure noire. J’aimerais bien être le Robinson Crusoé à qui tu apprends ton dialecte… ». Pour certain.es expert.es, il est plus question de curiosité envers les corps « exotiques » que d’hypersexualisation. Pourtant, lorsque xHamster publie le classement des termes les plus utilisés dans son moteur de recherche pornographique on peut se questionner sur la limite qu’il y a à être curieux.se quand les mots « beurette », « marocaine », « arabe » et « viol » font partie du top 10. Même constat pour son homologue Pornhub où les catégories « black salve » ou « KKK » existent. Plus soft mais tout aussi insidieux, les descriptions sur les profils de sites de rencontres où par exemple, un homme va préciser l’origine de femme qu’il cherche. 

 

Eduquer sans blesser 

 

Lorsque le livre Sexe, race et colonies est sortie, il a déclenché de nombreuses réactions, attendues par ces auteurs et autrices. Car, iels ont fait le choix de montrer 1200 images de corps colonisés et sexualisés. Ces mêmes corps que les familles des colons pouvaient voir sur les cartes postales qu’elles recevaient. Ces images sont à l’origine de cette culture de l’hypersexualisation des corps racisés dans l’imaginaire collectif. Fallait-il montrer ces images pour comprendre ce qu’il s’est passé sans en parler au préalable avec les personnes plus concernées ? A cette question, le collectif Cases Rebelles s’est exprimé dans un long texte soutenu par une vingtaine de signataires.

 

« Les images […] pour annoncer en fanfare la sortie du livre Sexe, race et colonies sont immondes. C’est une douleur viscérale que nous avons éprouvée en les découvrant. Sans complexes, le journal  [Libération] a fait sa une du week-end avec une adolescente noire à demi nue, tenue par la main par un colon prédateur blanc qui doit avoir au moins 3 fois son âge. », « Encore une fois, sous prétexte de dénoncer ou d’analyser, les bonnes âmes reconduisent la violence en diffusant massivement des images de femmes non-blanches humiliées, agressées, dont certaines sont encore des enfants sur les clichés en question. Comme si la reproduction de ces images avait cessé d’être profondément attentatoire à leur dignité, comme si elles n’affectaient plus leurs descendant.e.s et tout.e.s les héritier.e.s – côté victimes – de cette violence coloniale. », « Ces victimes sur les photographies publiées sont nôtres, elles sont de chez nous, de nos terres, de nos familles. Nous ne sommes pas éloigné.e.s, pas détaché.e.s de ces corps. Aujourd’hui encore, nous portons au quotidien le poids de ces hypersexualisations violentes, de ces hyper-accessibilités au corps colonisé. », « Mais la diffusion de ces images n’est en aucun cas nécessaire à la production de la vérité. Et ces images n’auront aucun effet miracle chez les négationnistes. La certitude, c’est l’horreur reconvoquée de manière sensationnaliste, [ … ] la mise en lumière voyeuriste du crime, pensée sans les victimes. » peut-on notamment y lire. 

 

Cette exhibition, dressée au travers des 1200 clichés, fait écho aux zoos humains où s’est produite dans les années 1800, la sud-africaine Saartjie Baartman, surnommée la “Vénus hottentote”. Morte à 26 ans parce qu’elle était noire, son corps fut disséqué en raison de son fessier jugé gigantesque.

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