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LE CORPS, RÉVÉLATEUR DE NOTRE PLACE DANS LA SOCIÉTÉ

Certain.es croient au destin, d’autres au hasard mais il est évident que nous ne partons pas tous.tes avec les mêmes caractéristiques et donc les mêmes chances dès la naissance. Et parmi elles.eux, notre corps. Est-ce que la maigreur de l’un.e a joué en sa faveur quand le surpoids de l’autre l’a ralenti dans son ascension sociale, ou inversement ? Nos corps sont-ils réellement acteurs et reflets de notre place dans la société ?

La question peut paraître superficielle voire dérisoire, notre corps, notre aspect physique, notre laideur ou notre beauté dicteraient vraiment notre vie ? Et puis quoi encore ? Pourtant, la question se doit d’être posée, car comme le rappelle Hélène Garner Moyer, doctoresse en science de gestion du travail, l’apparence physique est l’un des critères de discrimination prohibés par la loi du 16 novembre 2001. Elle explique qu’en 2020, “40% des personnes interrogées ont évoqué l’apparence physique comme critère de discrimination dans leur travail ” selon le 13ème baromètre OIT Défenseur des droits.  

 

S’il a été nécessaire de verbaliser le problème en une loi, nous pouvons bien en déduire que c’est une réalité. Et si nous n’en sommes pas persuadé.es, il suffit de regarder les chiffres ou d’écouter les témoignages pour en avoir la certitude. Pourtant, excepté cette loi plus que limitée, la France prête peu d’importance à la question de l'apparence physique comme critère de discrimination. 

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« What is beautiful is good »

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Ce corps est régi par différents aspects qui font de lui une enveloppe propice à la réussite ou sujette à l’échec : le genre, la couleur de peau, le poids, la taille, l’âge... Tous ces facteurs vont venir s'ajouter aux autres caractéristiques déterminantes déjà bien connues comme la classe sociale ou le niveau de vie. Plus insidieux encore, les caractères physiques sont rarement explicités. Personne n’osera dire « je l’ai viré car elle était trop grosse”, “grosse” et non “gros” car les discriminations à l’embauche concernant l’apparence physique sont rapportées presque deux fois plus par les femmes que par les hommes selon une étude datant de 2016 sur la perception des discriminations dans l’emploi. Et puis de toute façon, pour cela, il faudrait déjà être embauché.e.

 

Un constat fait par le sociologue Jean-François Amadieu au travers d’une enquête qu’il a réalisée et expliquée dans son livre La société du paraître paru en 2016. Il est parti de la formule suivante : les entreprises embauchent un personnel à l’image de leurs client.es, sauf si l’employé.e est “une femme obèse de 50 ans ou un homme au handicap visible” nous explique-t-il. Pour le démontrer, Jean-François Amadieu et son équipe ont créé des candidatures à partir de fausses photos pour un poste d’accueil. La photo représentant une jeune femme blonde aux yeux bleus obtient six fois plus de réponses que la femme en surpoids. Un autre test est réalisé, cette fois-ci pour un travail dans la restauration rapide. La femme âgée d’une cinquantaine d’années qui postule à six fois moins de réponses que son homologue jeune. 

 

Donc, être doté.e de beauté dans le milieu professionnel est un réel atout ? D’après le stéréotype « What is beautiful is good » ou plus simplement « Ce qui est beau est bon », oui. Parce que « les individus beaux sont jugés comme détenteurs de plus de qualités sociales, relationnelles mais également intellectuelles que les autres : c’est l’association d’attributs de personnalité favorables à la beauté qui fonde ce stéréotype », selon Hélène Garner Moyer.  Un facteur non-négligeable puisque nous sommes dans une économie qui « se tertiarise et dans laquelle le poids du savoir-être est croissant » poursuit-elle.

 

La reproduction sociale du corps 

Ce corps est régi par différents aspects qui font de lui une enveloppe propice à la réussite

 

Comme le disait Virginie Despentes, « les hommes n’ont pas de corps ». Une réflexion partagée par Catherine Grangeard, psychanalyste et psychosociologue, qui rappelle que « dans les stéréotypes, les femmes sont plutôt associées au corps et les hommes à l'esprit. Ce sont des stéréotypes qui ne datent pas d'hier mais qui sont millénaires ».

 

Dur de suivre la logique de notre société. Avoir un physique avantageux oui mais pas trop si vous êtes une femme et que vous souhaitez réussir professionnellement mais suffisamment pour obtenir un travail. Sans parler de notre société qui impose aux femmes de répondre à un certain nombre de codes physiques « le corps féminin se doit d'être désirable. Regardez les abris de bus, regardez les mannequins, les films. Il se doit d’être jeune, ferme, mince et tonique. C’est pourquoi les filles, à partir de 11 ans, commencent des régimes, non pas parce qu'elles en ont besoin mais parce qu'elles s'identifient à ces modèles. » selon Catherine Grangeard. Des propos confirmés par Mona Chollet, journaliste au Monde diplomatique, dans son livre Beauté Fatale[Au] Royaume-Uni, Canada, Australie [et en] France, [on] constate une augmentation des cas d’anorexie infantile. “Nous voyons des fillettes qui ont commencé un régime de leur propre chef à neuf-dix ans, puis la maladie se déclenche” déclare une praticienne du service de pédopsychiatrie de l’hôpital Robert-Debré à Paris”. 

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Et ce fameux corps mince, en plus d’être symbole de beauté dans notre société est un marqueur de richesse, en particulier quand on est une femme. « Plus on est riche, plus on est mince car la calorie maigre coûte plus cher que la calorie grasse. Il y a moins de femmes en excès de poids dans les beaux quartiers et dans les classes sociales favorisées. Vous vous faites donc encore plus remarquer si vous êtes grassouillette dans ces milieux-là que dans les classes sociales moins favorisées parce que c'est la loi du nombre. » confie la psychanalyste. Celle-ci décrit cela comme « une reproduction sociale en terme de corps, de rapport à son corps ».

 

Sauf que cette minceur adulée et souhaitée par beaucoup s’oppose à une invisibilisation recherchée par certaines jeunes filles pour fuir une sexualité ou une objectivation du corps non désirées. “La prise du poids peut aussi dire “je ne suis pas encore prête à la sexualité même si j’ai une puberté un peu plus précoce que les autres, et pour que les autres personnes ne lorgnent pas trop sur ma poitrine”. Cette perte de poids n’est pas inutile parce que l’enfant sent bien qu’on lui veut autre chose mais qu’elle n’est pas encore prête” explique Catherine Grangeard. Il y a alors une confusion des langues entre l’adulte et l’enfant, mis sous pression, comme l’analyse le psychanalyste hongrois Sandor Ferenczi. Une jeune fille dont la puberté se manifeste tôt sera classée comme femme par des hommes plus âgés. “Aujourd’hui [Autour de 1990, donc], pour une petite Américaine de sept ans, monter sur la balance et pousser un cri horrifié est un rituel de féminité, indissociable d’une promesse de gratification sexuelle” peut-on lire dans le livre Beauté Fatale

 

Le poids de la beauté

 

Le corps est par principe visible et si vous ne possédez pas les moyens de le cacher ou de le faire fondre dans les normes alors vous êtes rejeté.e. Ne pas avoir les moyens de corriger son sourire pour le rendre plus séduisant ? Ne pas avoir assez d’argent pour opter pour la chirurgie ? Le corps, en plus du porte-monnaie, est le reflet de la pauvreté. “L'esthétique est plus importante dans les classes favorisées, où on y dépense plus d'argent que dans les classes populaires.” toujours selon Catherine Grangeard, spécialiste de l'obésité.  

 

Et oui parce qu’être physiquement à la hauteur que l’exige la société a un coût. Cela va se savoir très vite si vous n’avez pas les fonds nécessaires pour vous rendre beaux. belles. D’ailleurs, le marché de la minceur représente 4 milliards d’euros par an. Il comprend les crèmes contre la cellulite, les compléments alimentaires pour brûler les graisses, des abonnements aux salles de sport ou encore des régimes sur internet dont les pubs passent en boucle sur les chaînes de la TNT. 

 

Notre société, hyper consommatrice, qui valorise un seul type de corps, favorise cette quête de la minceur car elle est inatteignable comme l’explique la psychosociologue en précisant que “certaines personnes sont grandes et d’autres minces, ce sont des caractéristiques morphologiques et tout le monde ne peut pas atteindre l’idéal corporel que la société nous vend. Il ne s’agit pas d’être bien tel qu’on est mais d’être bien tel qu’on va chercher à être”. 

 

Et à ce marché, vient s’ajouter d’autres outils liés à l’esthétique comme la cosmétique, les soins capillaires. Les marchés peuvent alors apparaître comme des mécanismes d'asservissement notamment auprès des femmes qui sont en quête du corps parfait. Ces dernières passent dix fois plus de temps dans la salle de bains que les hommes pour se maquiller, se coiffer, s’épiler… “ Le poids sur le corps des femmes étant bien supérieur, elles vont être tellement préoccupées par leur pauvre malheureux corps qui n'est jamais à la hauteur de ce qu'il faudrait qu'il soit, puisqu'il va vieillir en plus et ça ce n’est pas acceptable. Elles vont donc dépenser encore plus d'énergie voir d'argent que les hommes alors évidemment elles vont être moins préoccupées par leur carrière.” explique Catherine Grangeard. 

A bat la beauté ? 

 

L’arrivée du body positivism pourrait s’avérer être une des solutions pour reprendre possession de son corps qui, d’après la société, n’auraient pas le droit de se montrer. “Il me semble qu'y réfléchir très sérieusement permet de se dire "mais au nom de quoi mes quelques bourrelets pour aller à la plage sont des freins, au nom de quoi faudrait-il que je dépense du temps, de l'énergie et de l'argent à essayer d'être tel que je ne suis pas”, toutes ces questions-là en étant posées collectivement libèrent individuellement et aussi parce que nous remettons chaque être humain en position beaucoup plus libre. C'est se libérer d'une partie des chaînes qui retiennent et brident l'individu.” confie l’experte.

 

Détruire les critères de beauté, se les réapproprier, ou encore interroger l’importance que nous donnons à la beauté. Car, et Mona Chollet l’a dit dans son livre :“il n’y a aucun mal à vouloir être belle, mais il serait peut-être temps de reconnaître qu’il n’y a aucun mal non plus à vouloir être”. Pas question de culpabiliser les femmes qui se préoccupent de leur aspect physique mais pourquoi viser celles qui choisissent de ne pas s’en soucier ? C’est là où le body positivism semble montrer ses limites puisqu’il retombe dans un système où la beauté apparaît comme l’essentiel. Un nouveau terme commence alors à éclore, le body neutrality, c’est-à-dire simplement laisser tous les corps vivre sans les ramener constamment au principe de la beauté.

 

Nos corps sont reliés à des représentations dans l’imaginaire collectif, ignorer ces problématiques est agir avec naïveté. Oui, nos corps vont avoir leur importance dans notre parcours de vie, ce n’est pas pour rien que l’on vous demande de mettre une photo sur votre CV ou que l’on change de tenue en fonction du milieu que l’on fréquente. Demandons-nous désormais si nous souhaitons évoluer dans une société où la beauté reste une caractéristique essentielle ou s’il faudrait mettre fin à ce système une bonne fois pour toute.

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