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Le corps est devenu “notre plus bel objet de consommation” 1

La capitalisation de nos corps ne date pas d’hier, la société de consommation use et abuse de procédés pour faire toujours plus de profit sur notre dos. Et ce, depuis le début du marché de la beauté.

Ahhhh le mois de juillet, entre fin des cours et début de l’été, ce mois s'immisce comme l’émergence des vacances, de la liberté. Et quelle meilleure promesse pour commencer cette période de l’année que celle d’un été en harmonie avec son corps. C’est en tout cas ce que nous propose Elle dans son hors-série corps. Mais que va-t-on retrouver dans ce numéro de 98 pages ? Peut-être des articles qui déconstruirons les injonctions normatives, qui expliqueront comment s’aimer tel qu’on est ou les effets psychologiques de ces images de “perfection” constante. Et bien non, dans ce magazine qui coûte 6,90 euros, on retrouve à moins de dix pages d'écart un article intitulé “Zéro complexe” qui souhaite qu’on arrête de se gâcher la vie et un papier “Ventre et jambes, lissez-moi tout ça”. La première phrase parle d’elle-même : “Cellulite, rondeurs rebelles… Heureusement, il est possible de les atténuer”. Heureusement ! Que ferions-nous sans ces cures amincissantes à 55 euros la séance, ces gommages anti-cellulite à 108 euros l’heure ou encore ces palper rouler éliminateur de graisse à 76 euros l’heure. Quoooi ? Les médias et la pub feraient de nos complexes un business ? Pas leur genre.

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Pourtant, chaque année, les français.es dépensent environ 250 € pour le maquillage, soit 10 % de leur budget de consommation. Complexée par son acné à 26 ans, Charlotte en est le parfait exemple. Pour elle, impossible de sortir sans son fond de teint -un des produits les plus chers avec une moyenne de 24,83 euros-. « Toutes ces crèmes qui me promettent d’enlever ou de réduire la pousse de mes boutons, j’y crois. C’est pour ça que dès qu’il y en a une nouvelle, je l’achète et je la teste et ça, à chaque fois. » précise la jeune femme, quelque peu lassée. Finalement, toutes ces publicités qu’elle voit à la télévision, sur Internet et depuis peu sur les réseaux sociaux, lui donnent l’impression qu’elle a BESOIN de ces crèmes.

 

« Pour toucher les personnes dont la publicité a envie de susciter les intentions d’achat, elle fonctionne par le biais de stéréotypes, souvent sexistes, notamment pour les produits de beauté et textiles » explique Léa Lejeune, enquêtrice pour le magazine Challenges et écrivaine du livre Féminisme washing : quand les entreprises récupèrent la cause des femmes. De ses recherches, en ressortent deux profils de femmes présentes dans les publicités : celui auquel il est possible de s’identifier pour les achats du quotidien et celui de la femme idéale qui fait rêver pour les produits plus luxueux. 
 

L’exploitation du patriarcat par le capitalisme

 

Une question se pose, la société de consommation serait-elle, à elle seule responsable de tous nos maux, de tous nos complexes ? Pour Mona Chollet dans Beauté Fatale, ce n’est pas si simple : “On l’a dit : il ne suffit pas d’incriminer le “marketing”. Celui-ci, cherchant le meilleur moyen de gagner de l’argent, ne fait qu’identifier les tendances profondes qui travaillent une société afin de les exploiter. Pour autant, on commettrait une grave erreur en sous-estimant sa capacité à les exacerber en retour”. Pas une créatrice de ces normes, mais pas non plus juste une passeuse, la société de consommation se nourrit de nos complexes pour faire toujours plus de profit.

 

Le principe est simple. Créer un besoin. Proposer la solution. Faire payer. Il suffit de prendre l’exemple de tous les produits destinés à blanchir la peau, lisser les cheveux ou faire tendre vers une norme blanche en général. On ne choquera personne si on affirme que les médias et la pub ont un problème de diversité. Impossible de le prouver car les statistiques ethniques sont interdites en France -ce n’est pas comme si elles auraient pu illustrer une problématique- mais il suffit de feuilleter les pages des magazines ou de zapper sur les chaînes du câble pour se rendre compte que les noirs, les Arabes, les asiatiques, les “minorités” sont sous représentées voire quasi-inexistantes. Difficile alors pour les jeunes de trouver des modèles qui leur ressemblent et qui pourraient donc les convaincre qu’ils sont bien comme ils sont. “Pour produire du rêve, du fantasme, susciter du désir, la publicité représente toujours des gens correspondant à une même définition de la beauté” décrit l’autrice dans Féminisme washing.

 

Dans l’ouvrage Beauté Fatale, Mona Chollet cite Rokhaya Diallo en affirmant que « les femmes noires ont un budget beauté “neuf fois supérieur” ». On compte à la fois les produits qui font tendre vers la norme blanche et ceux pour l’entretien des cheveux bouclés, afro, frisés etc. Beaucoup plus cher que leurs homologues pour cheveux “normaux”.

 

« Je dirais que le capitalisme sait utiliser et exploiter le patriarcat dans tout ce qui l’arrange » explique Léa. Cela se voit via la publicité. Déjà dans les années 1950, 1960, celle-ci proposait aux femmes des produits pour rendre son intérieur, sa cuisine et son apparence plus ressemblante à l’imaginaire collectif. Finalement, aujourd’hui encore le message est plus ou moins le même : les femmes doivent rester jeunes et belles et les hommes doivent entretenir leur virilité. 

 

“Prisonnières de leurs apparences”

 

À travers les magazines, les publicités et notamment les réseaux sociaux, ces normes presque “historiques” sont largement diffusées, contribuant à altérer la vision que les gens ont d’eux-mêmes. Selon un rapport du CSA datant de 2016, 82 %, des femmes estiment que la publicité leur donne des complexes. Il est vrai que se retrouver constamment confronté.e.s à Kylie Jenner ou Emily Ratajkowski, leur plastique dite parfaite et leurs millions de followers louant leur beauté, ça ne booste pas la confiance en soi.

 

[Les fillettes] intègrent donc un autre aspect de la féminité contemporaine : la conviction d’un défaut, d’un vice fondamental lié à leur corps, que le temps ne fera que rendre plus évident et dont il s’agit de retarder autant que possible l’apparition ; mais aussi d’une forme de saleté, à laquelle sont censés remédier mille produits destinés à « purifier », « gommer », « désincruster »…” explique Mona Chollet dans Beauté Fatale. Cette culture de l’image et ce culte constant de la performance crée des failles que viendra par la suite exploiter la société de consommation. “À l’époque, -Naomi Wolf dans “The Beauty Myth”- montrait déjà que, si les femmes n’ont jamais été aussi libres économiquement et socialement, elles demeurent prisonnières de leur apparence à cause du culte de la minceur et de la jeunesse. La fragilité psychologique, la haine de soi, le contrôle externe sur les corps sont renforcés par les marques de mode et de produits de beauté, leur influence sur les médias et les figures de comparaison qu’elle promeuvent” peut-on lire dans Féminisme Washing.

 

Une problématique structurelle

 

Mais le problème des représentations est bien plus profond qu’une simple question d’image. Ces représentations sont sexistes parce que la structure même de ces institutions le sont. « Il y a un lien entre la représentation sexiste et stéréotypée dans la publicité et le fait que les postes dans les agences de publicité soit à 80 % détenus par les hommes » analyse Léa Lejeune. Les postes dont elle fait référence sont ceux qui concernent la création, la scénarisation et la visualisation pour ne citer qu’eux. La solution ? Pour la journaliste, il faudrait “féminiser les effectifs à la direction de ces entreprises et sensibiliser les ressources humaines pour qu’elles mettent en place des ambiances de travail dans lesquelles le sexisme et les stéréotypes ne sont plus la base quotidienne”. Mais la pub doit également être mieux régulée. En mars 2019, la marque Le temps des cerises avait fait polémique avec sa pub “Liberté, égalité et beau fessier” illustrant des femmes -toutes fines- réduites à leur cul -photoshoppé- alors qu’on tentait de nous vendre un jean qui s’adapte à toutes les morphologies. L’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) n’avait pourtant pas jugé cette pub de sexiste sous couvert d’humour. Pour Léa, le milieu de la pub gagnerait à être mieux légiféré sur la question de la responsabilité des entreprises dans la reproduction des stéréotypes. â€‹

Féminisme, body positivisme… Des récupérations commerciales

 

Le capitalisme a plutôt intérêt à suivre les codes du patriarcat et à tout à craindre du féminisme quand il s’agit des normes de beauté. Dans Par de là les frontières du corps, Silvia Federici explique que “c’est le mouvement féministe qui a dénaturalisé la féminité”. Elle évoque le jour de l’ouverture du congrès, à Washington DC, le 15 janvier 1968, où des féministes ont organisé une procession funéraire nommée “l’Enterrement de la féminité traditionnelle”. Et cet aménagement de la féminité, on peut le voir réapparaître avec le body positivisme qui suggère de redéfinir la féminité en y effaçant le principe d’idéal. “Le body positivisme, l’idée de départ c’est acceptez vous tel que vous êtes, tel que nous sommes. Dans le body positivisme il y a l’idée que si je m’épile, c’est bien, si je ne m'épile pas, c’est bien. Mais si je ne m'épile pas, qu'est-ce que ça impact ? Le fait que je ne vais pas acheter de rasoirs […] si on s’accepte vraiment tel qu’on est, à quel moment on a besoin de consommer des cosmétiques ou autres ?” interroge Léa Lejeune. À la longue, si ce genre de mouvement s'institutionnalise, il finira par effacer le besoin et le marché de la beauté se trouverait alors bien désarmé.

 

Mais le capitalisme est hélas plus sournois. Bien conscient que laisser féminisme et body positivisme aux commandes des normes de beauté ne ferait que l’affaiblir, il s'octroie le droit d’utiliser les codes de ces mouvements pour prospérer. En exploitant de nouveaux marchés, même plus petits, comme les tailles 46 et plus ou encore comme le maquillage ou les soins pour les hommes. Pour la cosmétique “ce que les marques perdent chez les femmes, elles vont essayer de le prendre chez les hommes” confie la journaliste.

 

Mais quel avenir nous reste-t-il alors ? Serons-nous toujours régies par les normes hyper exclusives de la mode qui assimile ses mannequins à des portants mettant en avant le vêtement ? Devrons-nous chaque été nous préparer pour le fameux summer body d’Insta ou le plus récent hot girl summer de Tik Tok ? Continuerons-nous à acheter des produits que la pub veut nous vendre parce que nous ne serons jamais suffisant.e.s ?

 

Dans son livre, Léa Lejeune revient sur cette mini-révolution qu’avait mené des internautes pour obtenir la composition des protections périodiques. Soucieuses des matières qui entraient en contact avec la partie la plus sensible de leurs corps, elles ont obtenu la publication des ingrédients. Mieux que cela, dans l’année qui s’est écoulée, presque toutes les marques de serviettes périodiques et tampons sortaient des gammes bio, sans produits chimiques, etc. Peut-être pouvons-nous espérer un éveil citoyen qui pousserait les marques à conscientiser leur sexisme à l’intérieur et à se libérer du cadre de la beauté unique à l’extérieur. Sinon, on peut toujours continuer de promouvoir des “gummies minceur” à 24,90 euros les 60 gélules pour enrichir le marché de la perte de poids qui représente en moyenne 2,5 milliards d’euros par an selon Xerfi. 


 

  1. Georges Vigarello cite “La société de consommation. Ses mythes, ses structures” de Jean Baudrillard dans “Histoire de la beauté”

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